Retrouvez l’article sur le premier atelier des assises de l’esport : Structuration de l’esport amateur et éthique dans l’esport.
Autour de la mixité, du handicap, de la santé et du lien social, le deuxième atelier des Assises de l’Esport co-organisé conjointement par la Direction Générale des Entreprises, la Direction des Sports, et en partenariat avec France Esports, s’est déroulé le 20 mars 2019 au Tremplin.
Esport et mixité, animé par Célia Roy
Cette première table ronde a réuni différents profils de spécialistes venus partager leurs témoignages : Alex Carreté, docteur en neurosciences cognitives et responsable Esport au sein de l’association Women In Games, Mari-Laure « Kayane » Norindr, animatrice et joueuse professionnelle de jeux de combat, Julien « InRealm » Jacquet, co-fondateur de l’association Game’Her et enfin Angela Natividad, Directrice générale de l’agence Hurrah.
Le dialogue s’est ouvert sur un partage d’expériences des deux femmes présentes concernant les propos et attitudes sexistes qu’elles ont subi. Cette mise en situation a permis d’orienter la discussion sur les problématiques spécifiques à l’esport concernant le manque de mixité dans les équipes et compétitions. Le jeu vidéo a longtemps été vu comme un loisir marginal réservé aux garçons. En conséquence, si aujourd’hui le joueur moyen a environ 39 ans et est à 47% une femme (source : Les français et le jeu vidéo, SELL/Médiamétrie), moins de 5% de jeunes femmes s’inscrivent aux compétitions physiques françaises depuis de nombreuses années (Minard-Carneiro & Besombes 2019). Plusieurs solutions sont évoquées pour dans un premier temps déconstruire ces clichés puis dans un second temps encourager la socialisation des femmes dès le plus jeune âge au jeu vidéo et à sa pratique compétitive.
Concernant les tournois de de jeux de combat (ou Versus Fighting), Kayane évoque le peu de femmes qu’elle y a rencontré, à l’exception de l’EVO 2010 (tournoi international annuel majeur de jeux de combat) durant lequel s’est déroulé un tournoi supplémentaire réservé aux femmes. Ce sont 64 compétitrices qui se sont retrouvées pour participer à l’événement avec comme condition d’également s’inscrire au tournoi mixte. Le format de tournois non-mixtes amenant à des compétitions mixtes semble ainsi être un outil utile bien que quelques réserves soient soulevées concernant notamment la nécessité que l’objectif final soit la mixité et non d’inscrire l’esport dans des compétitions différenciées exclusives.
Angela, experte dans le marketing appliqué à l’esport, estime également qu’il est important de bien définir l’esport, car mettre sur un pied d’égalité tous les jeux vidéo compétitifs en dépit de ce que certains joueurs peuvent estimer comme n’étant pas des jeux esportifs, permet de réduire certains propos discriminants.
Le débat se clôt autour de la toxicité et du rôle des éditeurs et des promoteurs dans la modération des espaces de communication en ligne (écrits ou oraux). Si les harceleurs sont les seuls responsables de leurs actes, il est important que les structures soient intransigeantes avec les comportements problématiques. Si les éditeurs, organisateurs d’événements et équipes professionnelles ou amateurs, veulent soutenir un développement serein du secteur, ils se doivent de prendre position contre les comportements toxiques. Parallèlement, il est du devoir de la justice que de mettre en application les sanctions à leur disposition et de condamner les auteurs de ces comportements et discours.
Esport et handicap, animé par Jérôme Dupire
Cette deuxième table ronde a réuni David Combarieu, Président d’Handi Gamer et Directeur Général de Hit Clic SAS, Loïc Beaubras, co-fondateur de l’équipe Rebird (structure compétitive esportive composée de joueurs en situation de handicap), Florian Vogel, Responsable communication chez Xbox France et Hervé Delattre, chargé du département esport de la Fédération Internationale de PowerChair Football (FIPFA).
Jérôme Dupire, président de l’association CapGame visant à développer l’accessibilité dans le jeu vidéo explique que le jeu vidéo (logiciels et équipements) est pensé et conçu par des personnes « valides » qui, de ce fait, ne prennent pas suffisamment en considération les difficultés et déficiences de chacun. Dès lors, comment développer cette prise de conscience ?
Le premier obstacle à l’accessibilité du jeu vidéo concerne le logiciel de jeu (ou software). À de très rares exceptions près, peu de développeurs et d’éditeurs bénéficient de l’accompagnement de personnes en situation de handicap pour la conception de leurs jeux. Les options d’accessibilité sont ainsi insuffisantes et omettent de nombreuses fonctionnalités : mode daltonien, sous-titres en français, narration orale, niveau de difficultés, paramétrage des touches d’actions, aide à la visée, etc. sont autant d’options qui permettent au plus grand nombre de déficiences d’être prises en compte. Il est du devoir des concepteurs de jeux vidéo d’intégrer ces dispositifs dès la genèse de leur processus créatif. Les associations CapGame et GameLover (et de nombreuses autres structures qui particiepent au projet) déploient à ce titre un réseau national de joueurs en situation de handicap (moteurs, sensoriels, cognitifs) testeurs de jeux vidéo afin de faire des retours complets auprès des créateurs de jeux.
Le second obstacle concerne cette fois-ci le matériel de pratique (ou hardware) : équipements, accessoires et périphériques de contrôle (claviers, souris, manettes, sticks, etc.). L’ergonomie de ces instruments et notamment des contrôleurs vendus initialement à l’achat de la console ou fabriqués en série, ne correspond pas à l’ensemble de la diversité des profils de pratiquants. Certaines initiatives personnelles et associatives comme HandiGamer proposent alors une personnalisation de l’équipement (ou modding) en fonction de chaque joueur en situation de handicap moteur (manipuler la manette d’une seule main, avec les pieds, avec la bouche, etc.). Xbox a de son côté développé une manette adaptative de série, la Xbox Adaptive Controler (XAC), qui permet de connecter n’importe quel accessoire au périphérique de contrôle et ainsi personnaliser les instruments de pratique. Si la solution est parfaite au niveau adaptabilité, la faible demande couplée à la spécificité des produits à additionner (des joysticks très sensibles par exemple) rendent l’investissement financier total du joueur encore élevé.
Le dernier obstacle concerne enfin les lieux d’accueil des événements esportifs et leur accessibilité. Si les compétitions en ligne ont permis à de nombreuses personnes en situation de handicap de participer à des tournois, les compétitions physiques ne sont de leur côté pas toujours suffisamment équipées pour accueillir les nombreux types de handicap. Un point d’attention est soulevé par Mai-Anh Go dans le public (Ingénieure de recherche HDR au CNRS en droit du handicap et secrétaire générale de la Fédération Française Handisport) : si l’on souhaite arriver à l’égalité dans l’esport, il est primordial que les mobilités créées par le virtuel existent aussi dans le réel et qu’elles ne viennent pas s’y substituer.
France Esports étudie la possibilité de créer un cahier des charges à destination des événements esportifs. L’association a également pour objectif de développer un guide de l’organisateur avec des préconisations concernant les points importants garantissant l’accessibilité d’une compétition. Une partie de ce guide sera par ailleurs consacrée au développement de la mixité, sujet de la première table ronde, dans les compétitions avec des recommandations spécifiques à ce sujet.
Esport, santé et lien social, animée par Nicolas Besombes
Pour cette dernière table ronde ce sont Olivier Gérard, coordonnateur du collectif PédaGoJeux, Vanessa Lalo, psychologue des pratiques numériques, Jérôme Legrix-Pagès, responsable du projet de recherche Erasmus + « Esports Center and Social Inclusion » (ECSI) de l’université de Caen et Vincent Blanchard, responsable de l’association Silver Geek visant à développer la pratique du numérique pour les personnes âgées, qui se sont retrouvés pour dialoguer sur le thème de l’esport comme lien social.
Les intervenants exposent les questionnements auxquels ils sont souvent confrontés. Parmi ceux-là ressortent les questions concernant le lien entre jeu vidéo et violence, les interrogations autour de « l’addiction », ainsi que l’isolement social. La psychologue Vanessa Lalo rappelle que la littérature scientifique conclut qu’il n’y a pas de lien tangible entre jeu vidéo et violence, tout comme il n’y a pas de lien avec les autres médias comme les films ou les livres. Jérôme Legrix-Pagès ajoute que l’industrie des jeux vidéo est extrêmement responsable en ce qui concerne l’évaluation des âges avec le PEGI.
Concernant « l’addiction » aux jeux vidéo, il est rappelé que l’OMS évoque la notion de « trouble du jeu vidéo » (ou gaming disorder) et non « d’addiction au jeu vidéo ». Ce dernier ne fait donc pas partie des dépendances au sens médical du terme. Il est donc préférable de parler de « pratique excessive » ou « compulsive », et ne concerne qu’une infime minorité de joueurs en France. À l’inverse, la plupart des joueurs témoignant d’un jeu excessif sont sujets à d’autres pathologies, et notamment des comportements dépressifs. La pratique excessive du jeu vidéo semblerait bien plus être le symptôme que la cause d’un mal-être.
Plutôt que de se focaliser sur les maux dont serait porteur le jeu vidéo, les intervenants suggèrent de présenter les effets bénéfiques d’un pratique responsable du jeu vidéo. Certains évoquent ainsi le fait que certains des jeunes joueurs dont les parents s’inquiètent de leur pratique excessive sont parfois (voire régulièrement) des enfants à haut-potentiel, tandis que d’autres rappellent que certains joueurs diagnostiqués avec une forme d’autisme Asperger ont réussi à construire des relations solides et stables grâce au jeu en réseau. Les parents s’avèrent à ce sujet d’ailleurs souvent désemparés. PédaGoJeux s’adresse directement à eux pour les amener à se questionner sur ce loisir et leur offrir des pistes de réflexion sur les règles à co-construire avec leurs enfants.
L’esport constitue dès lors un formidable générateur de lien social. Silver Geek en est un bon exemple. En plus de développer un lien intergénérationnel fort, la mise en compétition des séniors permet de lutter contre un des symptômes les plus récurrents des maladies et de la vieillesse : l’apathie. Le sport et l’esport sont en ce sens des activités qui ont des bénéfices remarquables sur la prévention de la santé des populations les plus vulnérables. L’esport a en plus l’avantage d’être parfois moins éprouvant physiquement pour les personnes âgées que ne l’est le sport.
Enfin, le lien social créé par l’esport se perçoit également lors des rassemblements physiques de passionnés qui partagent un moment en visionnant une compétition. Que ça soit pour un tournoi de jeu vidéo ou bien pour la coupe du monde de football, ces matchs sont une occasion de se retrouver et de partager une véritable passion sociale.
En raison du manque de temps, deux thématiques de la table ronde n’ont pas eu l’occasion d’être abordées et donneront lieu à des réflexions parallèles lors d’un prochain atelier : les blessures physiques liées au surentraînement et l’épuisement des joueurs (ou burnout).