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Une première rencontre européenne
Dans le cadre de la troisième édition du DOJO Esport, cycle de conférences qui s’est déroulé à l’Hôtel de Ville de Paris le 18 janvier 2018, les organisateurs de l’événement (JK Production et Smartcast Ninja) et l’association France Esports ont accueilli l’International Esports Federations Summit.
De nombreuses organisations nationales en Europe identifiées comme des organes de gouvernance représentatifs de leurs pays respectifs avaient été conviées, et l’Allemagne (ESBD), la Grande-Bretagne (BEA), l’Espagne (AEVI), l’Italie (FIES), la Suède (SESF), la Suisse (SESF) et l’Ukraine (UFES) se sont réunis lors de cette journée qui leur était dédiée. Des représentants de l’ISFE (International Software Federation of Europe pour les éditeurs), de l’INSEP (Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance pour le monde du sport) et du CIO (Comité International Olympique pour le mouvement Olympique) étaient également présents en temps qu’observateurs.
Le département des relations internationales de France Esports, en collaboration avec les organisateurs du DOJO, avait préparé un ordre du jour en vue d’aborder une potentielle coopération internationale, ou tout du moins européenne, entre les différentes associations présentes.
Cette réunion a été l’opportunité d’entamer une réflexion conjointe sur des actions coordonnées entre les différents acteurs internationaux, et faisait indirectement suite aux rencontres et discussions qui ont eu lieu lors de l’Esports Forum organisé par le Comité Olympique International (CIO) et la Global Association for International Sports Federations (GAISF) à Lausanne en juillet 2018.
Cet événement souligne également la volonté de France Esports de partager ses initiatives en toute transparence en vue de participer au développement et à la pérennisation d’une pratique esportive responsable à l’échelon international.
Une forte hétérogénéité des modèles
La matinée a été essentiellement consacrée à un tour de table de présentation des personnes présentes et de leurs organisations respectives, en prêtant une attention toute particulière aux trois points suivants :
- la gouvernance et la représentativité de l’ensemble des acteurs de l’écosystème local ;
- leur lien avec leurs autorités publiques nationales (gouvernements ou organes traditionnels de gouvernance du sport) ;
- leur lien avec les ayants droits des différents jeux (éditeurs de jeux).
Ce tour de table a révélé l’immense diversité des modèles et des spécificités nationales (notamment en raison de contextes institutionnels et législatifs spécifiques). Les points suivants soulignent quelques-unes de ces disparités :
Plusieurs pays sont dans la situation où plusieurs organisations prétendent au rôle de fédération nationale, et les discussions ont montré à quel point il était délicat d’aborder les questions de représentativité et de légitimité. La légitimité vient elle de l’ancienneté ? De l’affiliation à une entité internationale ? De la relation avec les autorités publiques ? De la représentativité du tissu esportif local ? Des actions menées ? Des intentions des représentants ? De l’absence de buts lucratifs de l’organisation ?
D’autres pays ont insisté sur l’importance d’avoir une structuration interne démocratique, permettant l’adhésion et la voix des joueurs et des organisations de toutes tailles. Le modèle de France Esports, précurseur de part l’intégration des ayants droits au sein même de leur membre, via un collège dédié, se démarque particulièrement dans son aspiration à fédérer l’ensemble des acteurs. Les éditeurs ont à ce titre réaffirmé leur volonté de participer au développement de l’ensemble de l’écosystème esportif, et ne pas réduire leur réflexions à la seule scène professionnelle de leurs jeux et à la protection de leur propriété intellectuelle.
Indépendamment d’un débat irrésolvable – l’esport est il un sport ? – est apparu la question plus pragmatique concernant le souhait (ou non) pour ces organisations d’être reconnues comme des organisations sportives. Certains pays travaillent dans ce sens en raison de spécificités juridiques locales, tandis que d’autres envisagent plutôt de créer un chemin parallèle, permettant de faire reconnaître l’esport comme un secteur à part entière, sans l’affilier directement au sport. En effet, si dans certains pays, être reconnu comme un sport apporterait uniquement des avantages, à l’opposé, être reconnu comme un sport dans d’autres pays apporterait un lot de régulations et de contraintes qui pourraient être un obstacle au bon développement de l’ensemble des acteurs de l’industrie. Les pouvoirs publics locaux (ministères ou départements spécifiques) sollicités au sein des autorités nationales sont alors directement corrélés à ce choix : dans certains cas, ce sont les organes traditionnels de gouvernance du sport (ministère et Comités Nationaux Olympiques), dans d’autres, cela peut être les ministères de la jeunesse, de l’éducation, de l’économie, de l’industrie ou encore des nouvelles technologies et du numérique. Certaines organisations ont déjà des liens bien établis avec certains ministères, qui ont d’ores et déjà découlé sur des actions juridiques concrètes adaptées à l’esport.
En ce qui concerne la représentativité de l’ensemble des acteurs de l’écosystème au sein des organisations nationales, la présence des ayants droits est très hétérogène. Certains pays ne bénéficient en effet pas forcément de la présence sur leur sol d’interlocuteurs directs chez les éditeurs. Il a été proposé dans ce cas-là, que les organisations nationales concernées entrent en contact directement avec les ayants droits à l’échelle de l’Europe.
Les organisations nationales n’ont également pas toutes les mêmes activités. Certaines organisent des circuits compétitifs (championnats, ligues, etc.), d’autres proposent des formations aux arbitres et admins de tournois, et quelques-unes se focalisent sur la sensibilisation auprès du grand public. Les actions menées et les priorités fixées ne sont ainsi pas les mêmes dans chaque pays.
L’ensemble des acteurs présents est toutefois aligné sur les enjeux sociétaux qu’il est de la responsabilité des organes nationaux d’adresser : les questions de mixité, de diversité, d’intégration, de santé publique, d’éducation, etc. Ces thématiques, sous une forme plus ou moins avancée, ont été cités par l’ensemble des présentations des acteurs.
Finalement, l’une des caractéristiques communes de ces différentes organisations est leur relative jeunesse : toutes ont été fondées entre 2008 et 2018, et chacune manque indéniablement de recul sur le bon fonctionnement et les responsabilités d’un organe de gouvernance esportif à l’échelle nationale.
Une uniformisation complexe mais pas insurmontable
L’après-midi a principalement été consacrée à la question de la définition de l’esport. Il est en effet apparu évident aux acteurs présents qu’une nomenclature commune était nécessaire, autant pour aligner les actions des uns des autres, que pour avoir une lecture cohérente des différentes données de l’industrie esportive. Si les acteurs de l’esport ne parviennent pas à faire émerger une définition acceptée globalement, les chances sont fortes que d’autres le fassent dans les années à venir. Les exemples de l’Argentine où les jeux violents ne sont pas reconnus comme des esports et du Comité Olympique Allemand qui souhaite faire la distinction entre esport (les simulations sportives) et egames (qui réunirait tous les autres jeux compétitifs), ont été cités.
De nombreux critères ont ainsi été questionnés par les différents représentants, tels que celui de la confrontation asynchronique (superplay, speedrun, scoring), de la compétition (prise en compte d’une pratique de loisir), l’équité des chances et la RNG (concernant notamment les jeux qualifiés de pay-to-win), ou encore les nouvelles technologies (VR, AR, drones, etc), sans qu’un consensus n’ait été trouvé.
Cet échange a finalement permis à chacun d’appréhender la difficulté de cette démarche et a stimulé les réflexions pour une prochaine rencontre tout en sensibilisant les organisations à proposer une nomenclature commune.
Vers des rencontres plus régulières à l’avenir
Cette première rencontre a indéniablement été d’une grande richesse et particulièrement utile pour toutes les organisations participantes : l’esport est en effet une pratique intrinsèquement dématérialisée et donc sans frontières qui suit un processus de mondialisation qui ne lui est pas réservé. À ce titre, entretenir des échanges réguliers avec nos homologues structurants à l’international est primordial en vue d’uniformiser nos modèles et actions. Toutefois, le travail s’avère important et la temporalité sera longue avant que cela ne se concrétise par l’émergence d’une entité européenne forte et légitime. Le deuxième rendez-vous se tiendra dès lors en avril 2019 lors de la Games Week de Berlin, puisque ce seront nos collègues allemands qui nous accueilleront pour poursuivre ces échanges.
Crédit photo : Quentin Missault – JK GROUPE