SOMMAIRE
- Contexte
- Objectifs de l’enquête
- Méthode
- Résultats
- Taux de participation et population atteinte
- Estimation de l’empreinte carbone totale de la mobilité
- De quoi parle-t-on ?
- Trajets Longue Distance
- Mode de transport des trajets longue distance
- Mobilité Locale
- Recommandations pratiques
- Trajets Longue Distance
- Mobilité Locale
- Recommandations globales
Si l’industrie de l’esport est en croissance depuis plus de dix ans maintenant, elle reste un secteur volatile et instable, comme nous le rappellent les différentes crises qu’elle traverse, en particulier les crises économiques (Besombes & Jenny, 2022). Bien que l’esport existe depuis au moins deux décennies, sa durabilité reste encore très vulnérable.
Il est impossible aujourd’hui d’ignorer la crise écologique majeure à laquelle l’ensemble de la population mondiale est confrontée. Les effets de la dérégulation climatique et du réchauffement global de la planète sont alarmants : diminution de la biodiversité, événements météorologiques extrêmes, déforestation massive, pollution de l’air, fonte des calottes glaciaires, élévation du niveau de la mer, insécurité alimentaire et hydrique…
Depuis quelques années, de nombreux travaux universitaires ont également déjà sérieusement souligné l’impact négatif des infrastructures numériques et d’Internet sur l’environnement (Morley, Widdicks & Hazas, 2018), et de l’industrie vidéoludique (Mills et al., 2019) : la consommation des réseaux et des centres de données ainsi que la circulation de ces données augmentent drastiquement (de 100 Go par seconde en 2002 à 26 600 Go par seconde en 2016), tandis que la pollution par Internet représente près de 3,7 % de l’ensemble des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. De son côté, le cloud gaming consomme 156 % d’énergie en plus par rapport au local gaming. Cependant, en parallèle, les consoles et les PC s’appuient sur des matériaux rares exploités pour leur production (cuivre, nickel, or, zinc, lithium, etc.) et l’obsolescence programmée aggrave le problème mondial des déchets électroniques (les nouvelles générations de consoles sont mises sur le marché tous les cinq à dix ans en moyenne).
Malgré cela, l’impact du secteur esportif sur l’environnement est peu connu (Nyström et al., 2021) et les acteurs de l’esport ne pourront pas ignorer ce défi indéfiniment. Dans le cas des événements en ligne (à distance), on imagine aisément que les conséquences sont identiques à celles évoquées précédemment auxquelles il est possible d’ajouter l’électricité requise pour alimenter les serveurs. Mais dans le cas des événements hors-ligne (en présentiel), l’électricité, l’eau, la nourriture, ainsi que l’hébergement et le transport des joueurs, des officiels et des spectateurs est à prendre en considération. Enfin, dans les deux cas, les compétitions sont diffusées sur Internet, via des plateformes de streaming, qui ont des conséquences sur l’environnement.
L’impact environnemental de l’esport s’ajoute donc à la destruction de l’environnement mondial et la question de la croissance infinie du secteur devient donc discutable (Scholz, 2019).
Pour poser les premières bases d’un esport plus durable et conscient de son impact sur l’environnement, l’association France Esports, accompagnée de WeeztR, a choisi de mener une première étude exploratoire pour estimer l’empreinte carbone de la plus grande LAN française : la Gamers Assembly de Poitiers. En 2022, l’événement a comptabilisé 1349 joueurs inscrits, 442 bénévoles, 14260 visiteurs et 153 partenaires.
Les objectifs de cette enquête sont à la fois de :
- Sensibiliser les communautés esportives au sujet environnemental par une communication autour et pendant de l’événement ;
- Bénéficier d’une première estimation d’impact qui demandera à être affinée et complétée ;
- Permettre le lancement de premières réflexions et plans d’actions sur le sujet.
Compte tenu de la nouveauté de l’expérience et du peu de temps disponible pour sa mise en œuvre, il a été décidé de limiter le périmètre d’analyse à l’estimation de l’empreinte carbone de l’événement sur la thématique de la mobilité uniquement (c’est-à-dire les déplacements et les transports), et de restreindre la récolte des données aux joueurs, au staff et aux bénévoles (soit une population de 1 944 personnes), et de fait d’exclure les visiteurs.
Pour collecter les données, un questionnaire auto-administré a été distribué à la population ciblée par trois canaux entre le 16 et le 29 avril 2022 :
- Lien URL posté sur Twitter le jour du début de l’événement puis un rappel 3 jours plus tard ;
- Affichage du QR Code sur le lieu de l’événement pendant les 3 jours de la LAN ;
- Lien URL de l’enquête envoyé 10 jours après l’événement au sein de la newsletter de l’association.
Les différentes questions concernaient le transport utilisé pour venir à l’événement, la distance entre le logement et le lieu de l’événement, le mode de transport utilisé pour se déplacer pendant les 3 jours, le nombre de personnes impliquées dans le mode de déplacement et les caractéristiques sociodémographiques des répondants.
Résultats
Taux de participation et population atteinte
328 questionnaires ont été collectés, soit un taux de participation de 17% de la population ciblée. Cependant, ce taux représente 920 personnes sur 1944 (“Pour combien de personnes remplissez-vous ce questionnaire ?”). Dès lors, le taux de la population ciblée atteinte est de plus de 47%.
Estimation de l’empreinte carbone totale de la mobilité
L’empreinte carbone totale de l’événement est estimée à 72 tonnes d’équivalent CO2 dont :
- 66 tonnes d’équivalent CO2 provenant des « déplacements longue distance”, c’est-à-dire les déplacements des participants vers et depuis l’événement.
6 tonnes d’équivalent CO2 provenant de la « mobilité locale », c’est-à-dire des déplacements des répondants entre leur logement et le lieu de l’événement pendant leur séjour.
De quoi parle-t-on ?
1 tonne d’équivalent CO2 représente environ 1 A/R Paris – NYC en avion. L’empreinte carbone totale de la mobilité des répondants équivaut à 72 trajets A/R Paris – NYC.
Et il est généralement considéré, qu’en moyenne, un arbre absorbe en 1 année, 167 kg de CO2. Il faut donc 430 arbres « dédiés » pendant une année pour compenser ces 72 tonnes, ce qui représente environ un terrain boisé de 1 700 à 2 900 m2.
Trajets Longue Distance
Sur la base de l’analyse de l’échantillon de données disponible, nous pouvons estimer que plus de 55 % des participants ont parcouru plus de 500 km aller-retour, générant ainsi 85 % du carbone émis lors des déplacements vers et depuis la Gamers Assembly. De plus, 6% des participants ont voyagé plus de 1200 km aller-retour (Suisse, Allemagne, Suède).
Mode de transport des trajets longue distance
D’après l’échantillon, la voiture est le mode de transport le plus utilisé (75%), devant le train (11%), et le bus (8%). Le nombre moyen de personnes par véhicule est de 2,5, soit un « taux de remplissage » de 50%, si l’on considère que chaque voiture peut transporter au maximum 4 passagers et 1 conducteur. Ce taux peut paraître faible, mais les participants à la LAN ont dû apporter leur propre matériel de jeu (PC, écrans, périphériques, câbles, etc.).
75% des participants sont donc venus en mode de mobilité individuelle, générant 85% des émissions, contre seulement 25% qui se sont déplacés à l’aide de moyens de transports collectifs (trains, bus, covoiturage).
Mobilité Locale
87% des répondants ont séjourné plusieurs jours à Poitiers et ses environs. Le séjour moyen était de 3,5 jours. 90% de ces personnes ayant séjourné plusieurs jours ont utilisé des modes de mobilité émetteurs de carbone (plus de 65% avaient une solution d’hébergement dans un rayon de 8 km, soit 10 minutes de trajet).
Près de 80% des émissions de CO2 sont liées aux déplacements dans ce rayon de 8 km. Seuls 6% des personnes ayant utilisé des modes de mobilité émetteurs de carbone ont utilisé les transports publics.
Recommandations pratiques
Trajets Longue Distance
A partir de ces premiers résultats, plusieurs recommandations peuvent être proposées :
- Privilégier les solutions de transports en commun, collectifs et publics, en particulier le train ;
- Mettre en place des solutions de covoiturage adaptées et spécifiques ;
Proposer des solutions de location de PC sur place pour limiter la nécessité d’apporter son propre matériel et donc de prendre un moyen de transport individuel.
Mobilité Locale
Dans le cas des trajets courts sur place lors de l’événement :
- Encourager les solutions de covoiturage sur de courtes distances ;
- Mettre en place des transports publics adaptés aux besoins spécifiques des compétiteurs et du staff (horaires, destinations, etc.), comme par exemple des bus ou des navettes dédiées.
Proposer des solutions de location de vélos ou de trottinettes pour encourager la mobilité douce à faible empreinte carbone.
Recommandations globales
Afin de capitaliser sur ce premier travail exploratoire, nous recommandons aux organisateurs d’événements de réaliser cet exercice de manière récurrente pour :
- Sensibiliser les acteurs de l’esports et les communautés qui ne s’attendent pas à être exposés au sujet de l’éco-responsabilité ;
- Améliorer le niveau de confiance et de fiabilité dans les estimations ;
- Élargir le champ de l’étude à d’autres indicateurs ;
- Suivre l’impact des plans d’action qui seront mis en œuvre.
Une réflexion spécifique doit être menée pour définir comment intégrer l’impact :
- Des « équipements informatiques externalisés » (ex : réseaux, serveurs, etc.) ;
- De la restauration proposée par l’organisateur de l’événement (ex : catering) ;
- De l’énergie (ex : eau et électricité).
Enfin, cette première étude démontre la nécessité de sensibiliser et d’éduquer le secteur esportif pour obtenir des taux d’engagement plus élevés. Ceci pourrait être réalisé à travers trois leviers :
- Pédagogie (communication régulière, conférences sur place, etc.),
- Récurrence (réitérer la collecte de données à chaque édition) et des
- Systèmes de récompense (tarifs réduits ou gratuité lors de l’édition suivante, goodies, matériel informatique, etc.)
Références & Ressources
ADEME (2022). Lecture, musique, films, jeux en ligne : quels impacts ? Agir pour la transition écologique.
Abraham B. (2020). Towards carbon neutral gaming: Report on the carbon disclosure in game development project. Paper presented at Proceedings of DiGRA 2020 Conference.
Besombes, N. & Jenny, S. (in press). Paradoxical Effects of the Health Crisis within the Esports Industry: How French Esports Organizations Illuminate the Perceived Revenue Growth Façade. In Andrews, D., Thorpe, H. & Newman, J. (eds), Sport and Physical Culture in Global Pandemic Times: COVID Assemblages, Palgrave.
Dyer-Witheford, N., & de Peuter, G. (2021). Postscript: Gaming while empire burns. Games and culture, 16(3), 371-380.
Mills, E., Bourassa, N., Rainer, L. Mai, J., Shehabi, A., & Mills, N. (2019). Toward greener gaming: Estimating national energy use and energy efficiency potential. The Computer Games Journal, 8(3), 157-178.
Morley, J., Widdicks, K., & Hazas, M. (2018). Digitalisation, energy and data demand: The impact of Internet traffic on overall and peak electricity consumption. Energy Research & Social Science, 38, 128-137.
Nyström, A.-G., McCauley, B., Macey, J., Scholz, T. M., Besombes, N., Cestino, J., Hiltscher, J., Orme, S., Rumble, R., & Törhönen, M. (2022). Current issues of sustainability in esports. International Journal of Esports, 1(1).
Scholz, T. M. (2019). Conclusion: The Future of eSports. In eSports is Business (pp. 135-147). Palgrave Pivot, Cham.
Tapsell, C., & Purchese, R. (2021). What does gaming’s all-digital future mean for the climate crisis?